Catalogue de l’exposition de mars 2019
Comment est né ton désir de peindre ? En observant ou en faisant ?
Les deux. Petite, j’allais aux expositions et je peignais. Je me souviens de grands moments de plaisir devant certains tableaux, et d’un autre plaisir tout aussi grand, au moment où je peignais. Depuis le début, pour moi, ces deux aspects vont de pair. Le geste artistique découle d’un regard admiratif au départ, et critique par la suite.
Il y a quatre ans, tu as tout arrêté pour ne faire que peindre. Qu’est-ce qui t’a menée à ce choix ?
Oui, on peut dire que maintenant je me consacre pleinement à la peinture, dans une optique professionnelle. Auparavant, je faisais de la philo et j’aimais ça ! J’ai été assez loin, j’étais vraiment impliquée jusqu’à être admissible à normale sup, mais je me suis finalement aperçue que j’avais une insatisfaction profonde et qu’il m’était impossible de me projeter réellement dans une pratique uniquement intellectuelle. A la fin de mes études, je me suis finalement lancée seule dans la peinture. Alors même que j’étais encore timide, comme une jeune débutante, je retrouvais un plaisir que seule la peinture m’avais apporté. Et mon insatisfaction est partie. J’étais alors certaine que je voulais continuer à peindre, et je m’en suis donné les moyens. J’ai fait des rencontres riches, j’ai beaucoup travaillé, cherché.
Les toiles exposées ici, depuis combien de temps y travailles-tu ?
Pendant trois ans (de 2015 à 2017) j’ai travaillé à découvrir la peinture, à expérimenter différentes techniques, à rentrer dedans plus avant. J’ai beaucoup fréquenté les musées. Et il y a un peu plus d’un an, les choses sont devenues plus évidentes, plus limpides, plus faciles aussi. Mon rapport à la peinture s’est précisé, ma pratique s’est comme renforcée. Et j’ai senti venir le début d’une ligne de peinture. Cette ligne rendait possible une première exposition.
Comment se sont construits ces tableaux ? Tu pars de la matière pour arriver à des sujets ? Ou tu as d’abord en tête une problématique ?
Il y a les deux. Mon esprit et mon regard évoluent grâce à ce que la matière me donne. Plus ça va et plus je vois des choses dans la matière, plus je suis capable de les attraper ; plus mon imagination et mes intuitions se complexifient et se précisent. Mais il y a aussi des livres, des tableaux, des moments que je vis ou que d’autres vivent, qui me donnent envie de peindre. J’aborde également des thèmes classiques, comme la toile intitulée « Maternité » et des problématiques qui traversent l’histoire de la peinture.
Parfois aussi, j’ai envie de représenter quelque chose en particulier. Par exemple, dans « Tous attendent Marguerite », je voulais faire des personnages riant, après avoir vu un tableau de Goya. Et mêler à cela les fleurs jaunes que tient Marguerite au moment où elle rencontre le maitre dans « Le Maitre et Marguerite ». La toile jaune et bleue située au fond de la galerie est née de la volonté de travailler un groupement d’individus. Je voulais qu’ils soient à la fois autonome et en lien. Je voulais également que les couleurs évoquent le continent africain. Enfin, il y a mes rêves parfois. Par exemple « Les Fusillés » découle d’un de mes rêves. Mais c’est quand tu es en train de peindre que la direction première se trouve bouleversée : il faut alors se confronter à la réalité de la peinture. Je suis le mouvement que la peinture me montre, et à ce mouvement se mêle ma volonté et la prise en compte de l’histoire de la peinture, des modèles de représentation, de constitution d’un tableau. Ce sont des préoccupations largement partagées que j’essaye de vivre, de travailler et de comprendre à ma façon.
Que peux-tu dire de ton parcours technique ? De tes choix de matières ?
J’ai toujours utilisé la peinture à l’huile car c’est la première technique qu’on m’a apprise sans pour autant me montrer toute sa richesse que je découvre maintenant peu à peu. Mais en restant à la peinture à l’huile j’étais trop présente, je m’imposais trop à la matière. J’ai donc essayé la colle qui est une technique qui laisse plus facilement place à l’aléatoire. Par ailleurs, en travaillant la colle, et donc en traitant la couleur à partir du pigment pur, j’ai développé une perception plus aigue des couleurs et des rapports qu’elles peuvent avoir entre elles. J’ai ensuite pu revenir à la peinture à l’huile avec plus de liberté.
Souvent, les personnages semblent se diluer dans ta peinture ?
Oui, c’est vrai. Comme beaucoup, je me demande comment constituer une figure par la peinture. Et je tiens en même temps à faire vivre une dimension symbolique du corps. Faire du corps une surface de projection, à la fois indéfinie et orientée en fonction de données symboliques. Par exemple le nombril dans « Violée aux aurores » est là comme orifice, comme centre, comme origine. Face à « La Flagellation du Christ » de Caravage, tout d’un coup il m’a semblé voir un monde dans le nombril du Christ. Un monde où la peinture et le Symbolique s’entremêlaient. Dans « Maternité » c’est le jeu de mains que j’ai fait ressortir. J’ai appuyé sur ce jeu pour rendre immédiat un certain type de lien entre les deux personnages. Ce sont des éléments qui sont source, en tout cas je l’espère, de projection symbolique et fantasmatique. Il me semble que certains procédés picturaux, que ce soit dans la matière ou dans la forme, ont une grande efficacité et qu’il peut être bon de s’emparer aussi de cette de simplicité, de la faire résonner avec la matière pour rejouer des images « clichées ».
Il y a aussi le grand paysage, qui est une commande, est ce que cela engage un rapport différent au tableau ?
C’était une commande d’un paysage abstrait. Et je voulais donner à sentir le vent, le mouvement qui anime les éléments, mais aussi l’espace qu’il y a entre les éléments. La légèreté, la percée de la lumière à travers les nuages. Mais aussi l’immensité et la proximité d’un paysage. Et tout cela devait fonctionner dans une peinture. Puis c’est pour un bureau, un lieu clos et urbain, alors je voulais donner un horizon, un lointain. Et encore une fois, il y a ce que tu as envie de mettre, mais à terme c’est la peinture qui fait aussi que les choses deviennent ce qu’elles sont. Un coup de pinceau implique toujours une suite sauf quand le tableau est fini. Et en dernier lieu il y a le regard du spectateur qui lui aussi choisit.